Quand la pluie coule sur le papier, l'homme est inspiré
- Marie Davy
- 29 févr. 2020
- 3 min de lecture
Observer la pluie glisser sur la vitre, boire un chocolat chaud près du feu et rédiger une nouvelle sur son ordinateur, une musique douce dans les oreilles. Bien que cliché, cette image en a fait rêver plus d’un et prend vie comme une scène de théâtre. Pourtant, à l'origine, la pluie, c’est chiant : basique. Mais il n’est pas rare d’entendre quelqu’un adorer les jours de pluie, aimer marcher sous la pluie, trouver le paysage plus beau sous la pluie. Charles Aznavour mentait-il lorsqu’il disait que la misère était moins pénible au soleil ?

Nombreux sont ceux qui ont écrit sur le soleil, pourtant, la pluie inspire aussi bien des artistes. Déjà, la pluie renvoie à la mélancolie, et de nombreux compositeurs vous le diront, il est bien plus facile d’écrire des chansons tristes et de raconter des histoires dramatiques que de provoquer le rire.
L’Homme, morose et peureux, trouverait dans l’écriture de vers tristes un catharsis.
Prenons le cas des rappeurs, dont le genre a conquis toutes les classes sociales. A l’origine, leurs paroles dénoncent les injustices sociales et les difficultés de la vie dans les cités. Bien que les sujets soient diverses, allant du gangster au rap conscient ou commercial, les morceaux transpirent souvent la mélancolie. D’Eminem avec Stan, où un fan met fin à ses jours, à Columbine qui répond à Libération que “l’humeur du rap actuel, c’est une musique triste qui fait danser”, nous renvoyant notamment à “C’est pas grave”, un titre à propos d'une rupture au rythme malgré tout joyeux. D’ailleurs, une pluie diluvienne accompagne le duo dans le clip aux allures apocalyptiques.
Celui qui a été ironiquement jusqu’au bout du concept, c’est Orelsan avec “La pluie”, qui, avec mélancolie, raconte le quotidien des habitants de “la terre du milieu”. Un titre, dont le sujet, universel, parle à tout le monde et dépasse même le phénomène météorologique dans les référencements Google.

Quand y’a une grande séquence émotion au cinéma, que ce soit la représentation d’un amour passionnel, d’une frustration colérique ou d’un enterrement émouvant, la pluie s’invite pour insister sur les émotions des personnages et les représenter symboliquement afin que ces sentiments intimes soient visibles. Dans son émission Blow Up, Arte rapporte plusieurs scènes emblématiques dans lesquelles la pluie devient un personnage à part entière.
Au cinéma, inviter la pluie sur le set, qu’elle soit naturelle ou artificielle, permet d’accentuer l’effet de réel. S’il pleut à l’écran, l’histoire gagne en véracité car ce n’est pas juste un monde enchanté et les personnages vivent les mêmes péripéties - ou précipitations - que nous. A l’inverse, alors que c’est désagréable d’être sous la pluie dans la vraie vie, des personnes vont l’apprécier car cela renvoie à une histoire glamourisée par le cinéma, à un moment fort qui relate le rêve, l’imaginaire, le beau.
Il y a des choses qu'on aime sans prendre conscience de l'influence de leur traitement esthétique dans les films ou sur les réseaux sociaux. Les philosophes se sont longtemps questionner sur ce qu’on pouvait qualifier de beau. Aujourd’hui, les industries culturelles et les réseaux sociaux s’imposent en tant que gendarmes du bon goût. Si prendre une photo d’une vitre sous la pluie est esthétique, tout comme le fait de porter un simple T-shirt et de longues chaussettes en laine auprès de la cheminée, alors les jours de pluie deviennent appréciables. Ils gagnent en valeur de part le symbole romantique ou “cosy” qu’ils inspirent.
La photo ci-dessus a justement été postée sur Instagram au moment où j'écrivais cet article. L'auteur, que je connais, illustre parfaitement - et inconsciemment - mes propos. La boucle est bouclée.
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