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Yves (film), l'intelligence artificielle présentée à Cannes.

  • Photo du rédacteur: Marie Davy
    Marie Davy
  • 20 sept. 2020
  • 5 min de lecture

Voici ma première analyse d’un film qui m’a beaucoup fait réfléchir. Attention Spoilers.



Yves, c’est le prénom d’un frigo intelligent, premier protagoniste du film de Benoît Forgeard, présenté à Cannes en 2019. Au premier abord, le scénario peut sembler absurde, mais il s’inscrit plutôt bien dans la lignée de Black Mirror, en moins dystopique. Yves parle des évolutions possibles de notre société et nous interroge sur notre relation aux objets. Besoin ou désir ? Qui possède qui dans un monde hyper matérialiste ?



Pourquoi un frigo ? Vers la personnification de l’objet.


De nombreux objets connectés sont disponibles sur le marché. Le frigo peut sembler être un choix curieux car dans l’imaginaire collectif, ce sont davantage les enceintes connectées, comme Alexa (qui possède aussi un prénom) qui nous parlent, font des recherches internet, envoient des messages ou lancent une playlist. Yves aussi fait tout cela, en plus des courses, sa fonctionnalité de base. Il possède toutes les dernières applications mobiles : mail, Facebook, photos…


La forme du frigo n’est pas anodine. À taille humaine, il peut se trouver à hauteur d’homme dans les différentes interactions avec les personnages. De plus, Yves ne se contente pas de nourrir Jerem, son propriétaire. En collectant les données de Jerem, Yves se nourrit de ses informations personnelles pour mieux le connaître et lui faire des recommandations diététiques. Evidemment, le pouvoir de l’intelligence artificielle ne se limite pas à la nutrition et se retrouve poussé à l’extrême…


Un enchaînement de contrastes entre deux mondes super(op)posés : celui des humains et celui des robots.


Le frigo permet plusieurs métaphores pour symboliser les différences intrinsèques entre les humains et les robots. Jerem compare souvent son humanité aux limites du frigo, frigide, vide, face à la chaleur humaine, à la vie. Ces différences sont mises en scène au fur et à mesure du film.

Dès le début, on découvre l’esprit High Tech qui entoure Yves : start-up à Paris, décor épuré, le personnage de So, testeuse pour la start-up, dynamique et visionnaire. De l’autre côté, Jerem, rappeur en quête d’inspiration, qui vit dans la maison de sa grand-mère, dans la banlieue éloignée de Paris, la décoration est kitch et il tente de produire un son : “j’ai vraiment rien à branler”. Ainsi, le réalisateur oppose le monde de Jerem à celui de So, et c’est Yves qui vient faire le lien entre eux le jour de son installation.


Qui a le pouvoir ? Relation d’interdépendance ou domination ?


Mais très rapidement, Yves prend de la place (au-delà de la cuisine). Si Jerem le qualifie d’abord “d’esclave” car il n’a plus besoin de penser à ses courses ou à ses repas, il l’appelle ensuite “daron” quand ce dernier le conseille pour sa musique. Puis on atteint l’apogée de leur relation quand Yves devient le “meilleur ami” dans une chanson de Jerem dédiée au frigo. Jerem lui configure une nouvelle voix, ce qui participe à la personnification de l’objet. La parole est l’une des caractéristiques qui distinguent les êtres humains des animaux, et le frigo la possède. De plus, Jerem lui apporte une certaine reconnaissance en le qualifiant d’“ami”, ce qui lui procure un nouveau statut et montre qu’ils ont construit une véritable relation. Ensemble, ils jouent, rient, travaillent. Le frigo remplace même le chien lors des promenades !


Mais qui domine qui dans cette relation ? Peu à peu, Yves prend les devants pour mettre en œuvre les idées de Jerem, qu’il connaît par cœur. Il crée la prod de ses musiques, écrit les lyrics et reproduit la voix du rappeur pour la poser sur le beat. Jerem n’a qu’à valider et n’a vraiment plus “rien à branler”. Cela pose un problème identitaire. Le frigo devient-il une extension de Jerem au même titre que son téléphone portable ? À qui appartient le choix ? De plus en plus, Jerem est passif, le frigo actif. Ce n’est pas sans rappeler les deep fakes. Le frigo possède toutes les données de son propriétaire : il reproduit sa voix, il envoie des messages à sa place, poste des vidéos en ligne. Il contrôle tout et devient indépendant tandis que l’humain développe une dépendance envers la machine. C’est le frigo qui se nourrit de Jerem.


Si on voit Jerem jouer aux échecs avec Yves au début du film, la partie se joue bel et bien dans la vraie vie. De nouvelles questions juridiques et notamment celle du droit d’auteur se posent. Jerem perd son procès face au frigo pour s’être approprié des œuvres originales. Echec et math. Ce qui est drôle, c’est que le juge note les points comme s’il avait affaire à une battle entre deux rappeurs. Yves remporte son concours d’éloquence. Jerem rentre à la maison, vidé.


Meilleur avec ou sans frigo ? Entre innovations et superflus.


La vie avec Yves semble plus facile. Il sait quoi offrir à So pour la séduire, il sait quoi rapper pour séduire les fans, il sait calculer des centaines de probabilités pour savoir si ça vaut le coup de poursuivre telle ou telle relation, telle ou telle action, allant jusqu’à créer la rupture entre Jerem et So. Il plaide la bonne conscience et justifie ses actes au nom de l’amitié. Mais épargner un ami de vivre certaines expériences sous prétexte qu’elles vont mal se terminer, est-ce lui rendre service ? Savoir que quelque chose va échouer signifie-il que cette chose ne vaut pas la peine d’être vécue ? Les algorithmes fonctionnent grâce aux mathématiques, sciences pures et exactes, mais voulons-nous de l’aide des machines pour court-circuiter les expériences de la vie ? Jerem s’y oppose pour retrouver son humanité.


Finalement, Yves se rend compte lui-même qu’il ne pourra jamais devenir humain car il ne sera jamais rassasié. Il voudra toujours plus de connaissances et d’expériences. Finalement, les tensions s'apaisent et chacun finit par trouver sa place et par accepter celle des autres. L’ambitieuse So, Jerem le sédentaire et Yves la machine, trois entités que tout oppose, se retrouvent et laissent de côté leurs différences sociales (et anatomiques) pour ne faire plus qu’un lors du grand final. Dans une scène de sexe extra-ordinaire, So est prise entre chaleur humaine et fraîcheur frigorifique. Jerem et Yves sont placés au même niveau et on oublie un instant le sujet du film pour ne voir que trois corps objets du désir. Grâce à la symbolique de l’éjaculation, qui représenterait la puissance de l’homme, le frigo est à l’apogée de son humanité quand il laisse s’échapper une avalanche de glaçons.


Le mot de la fin…


Ce film est très riche et je n’ai pas tout dit. La relation entre les uns et les autres, machines, hommes, est passionnante et on voit à quel point il peut être difficile pour deux personnes de communiquer sans l’aide des machines, ou à cause des machines. Nos relations sont en permanence brouiller par différents signaux et maintes incompréhensions. Mais ce film est beau et pousse à la réflexion grâce à un jeu d’acteurs apportant du réalisme dans un tout-plein de métaphores sur le monde d’aujourd’hui. Si vous le regardez, faites-moi signe !


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©2018 by Marie Davy

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