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Tous immortels 2.0

  • Photo du rédacteur: Marie Davy
    Marie Davy
  • 18 mars 2019
  • 5 min de lecture

Avant toute chose, je dédie ce billet au garçon qui fréquentait la même cour de récréation quand j’étais encore à l’école élémentaire. Il avait un an de moins que moi mais l’école était petite et tout le monde se connaissait. Même sans se connaître. Comme beaucoup d’autres, nous étions amis sur Facebook sans pour autant échanger un mot. Il y a quatre ans, cet ange a rejoint le ciel. Et Facebook m’a lancé une piqûre de rappel. Voici l’élément déclencheur, celui qui m’a poussé à m’interroger sur la place des morts sur les réseaux sociaux. Quand j’ai reçu cette notification, que je reçois malheureusement tous les ans pour l’anniversaire du défunt, j’ai vu trouble. Ça m’a surtout rappelé qu’il n’était plus là et qu’il ne le fêterait pas. Pire, que sa famille et ses plus proches amis allaient recevoir cette même notification comme un couteau bien aiguisé. Comme si ce n’était pas assez difficile au quotidien, Facebook les pousse un peu plus au désarroi. Mais pourquoi ce compte existe-t-il encore ? Est-ce par choix ou par oubli ? Ou bien pour garder un sanctuaire ? En effet, il est commun de voir plusieurs personnes partager leurs meilleurs souvenirs et leurs messages de condoléances sur les profils des défunts. Un moyen de dire au revoir et de mettre à l’honneur la personne une dernière fois. Depuis toujours, on a vu des commémorations prendre place dans les villes et les églises. Avec l’omniprésence d’internet, il n’est pas étonnant que ces pratiques se numérisent aujourd’hui. Ces nouvelles commémorations ont-elles autant de significations ? J’ai l’impression qu’on place des objets symboliques dans les sanctuaires pour garder une trace concrète de la personne dans le monde des vivants. Comme si on prolongeait son destin sur terre. Mais avec le numérique, s’agit-il du même effet ? A l’inverse, peut-être qu’il est plus pertinent de garder une trace du défunt dans un univers accessible par tous à tout moment, pour laisser chacun se recueillir librement…


En tapant “mort” sur Facebook, j’ai découvert qu’ils avaient créé en 2014 une nouvelle fonctionnalité pour créer des lieux de commémorations qui empêche quiconque de s’approprier le compte ou encore d’y afficher de la publicité.


Une chose est sûre, la place des morts sur les réseaux sociaux pose plusieurs questions et je suis certaine que les avis divergeront !



Comme la semaine dernière pendant l’écriture de mon article sur la SnapChat Dysmorphia, j’ai pensé à mon cours sur le Selfie. Nous nous intéressons aux photos postées sur les réseaux sociaux et j’apprenais dès la première séance que les réseaux sociaux pour les morts étaient en pleine expansion ! Respectance, Comemo, Memorial Matters, PeopleMemory, etc. Toutes ces nouvelles plateformes permettent de créer une page pour un défunt et d’inviter ses proches à y partager des souvenirs. Si votre curiosité est piquée, je vous propose de regarder la présentation audiovisuelle de RIPcementary :



Cette vidéo me fait étrangement penser à l’épisode "Be righ back" de Black Mirror où une femme achète un clone synthétique de feu son mari. Au début, c’est une application qui se base sur l’ensemble des données numériques du défunt qui se fait passer pour lui via une messagerie instantanée. Puis l’application reproduit sa voix et lui permet de parler à sa femme. Et ensuite vient le clone. Comme dans ce spot, il y a une scène où la veuve court dans la nature, les écouteurs dans les oreilles, en pleine discussion avec un son mari mort.

Comme si les réseaux sociaux ne créaient pas assez d’illusions et ne transformaient pas déjà notre notion du vrai, cet épisode montre une société dans laquelle nous continuons de fréquenter les morts. Mais ce ne sont pas vraiment eux, ce sont des trompe-l’oeil, et les vivants s’isolent de nouveau.


Je vous conseille vivement cet épisode ! Je vous laisse la bande annonce :



On sème de nombreuses données sur internet et on peut se demander si des organismes ne pourraient pas profiter de la vulnérabilité de nos proches pour créer l’illusion et nous remplacer. Vous pensez que je vais trop loin ? Pourtant, le phénomène Deepfakes qui consiste à placer le visage d’une personne sur un autre corps à travers un montage vidéo crée aussi l’illusion. Et si, à partir de l’ensemble de nos conversations privées et de nos photos, des organismes décidaient de prolonger notre vie en nous reconstituant physiquement et en adoptant notre manière de parler et de penser pour un simulacre parfait ?

Aussi lointain que cela paraisse, il ne faut pas négliger ce genre de possibilité. Ce n’est plus de la science-fiction.


Brut a posté une vidéo sur le sujet, que je vous invite à regarder. On apprend que d’ici 2098, il y aura plus de morts que de vivants sur les réseaux sociaux, et que Facebook a plutôt intérêt à garder ces profils actifs pour générer du trafic et donc faire de l’argent.



Et si on ne préparait pas inconsciemment cette commémoration de notre vivant ?

Dans La chambre claire, Roland Barthes revient sur le fait d’immortaliser des moments à travers la photo. Contrairement à un film, où l’acteur va sortir du cadre, la personne photographiée reste figée à tout jamais. Souvent, on utilise la photographie pour immortaliser un moment, ne pas l’oublier et le prolonger en continuant à le regarder à volonté. Quand on prend des photo-portraits, il y a cette volonté de se souvenir, de garder précieusement le visage de la personne à un moment donné. Une fonction mémorielle donc.

Sur Instagram, je poste généralement les photos qui représentent mes meilleures souvenirs et que je souhaite consulter régulièrement. Les moments que je ne veux pas perdre. Sur le numérique, encore plus qu’avec une photo papier, tout reste. Rien ne s’efface et la trace de ces souvenirs devient immortelle. Poster nos meilleurs souvenirs serait un moyen de construire peu à peu notre propre mémorial. Choisir ce dont on veut que les autres se souviennent, déterminer l’image qu’auront les autres de nous quand nous ne serons plus là.

Déjà inconsciemment, il y a un rapport à la mort sur les réseaux sociaux. Comme le disait Blaise Pascal, l’homme passe sa vie à s’occuper et à se divertir pour oublier la finalité de celle-ci : la mort. Nous passons beaucoup de temps sur les réseaux sociaux.


Les réseaux sociaux permettent des interactions et favorisent la communication : tout ce qu’il y a de plus vivant ! Ainsi, toutes ces remarques sur la place des morts dans la sphère numérique fait froid dans le dos… Pour ma part, je préfère quand Facebook met en place le Safety Check, pour signaler auprès de nos amis qu’on est à l’abri.


Et vous, quand pensez-vous ?

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©2018 by Marie Davy

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