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SnapChat Dysmorphia : la vie en filtré !

  • Photo du rédacteur: Marie Davy
    Marie Davy
  • 8 mars 2019
  • 4 min de lecture

Les réseaux sociaux changent notre rapport aux autres. Nous pouvons communiquer instantanément avec des personnes où qu’elles soient dans le monde. Les échanges vont très vites et se transforment. Par exemple, Messenger voit croître l’utilisation des messages audio et SnapChat instaure le selfie comme support de communication de base. Mon article sur la dictature des émoticônes évoquait brièvement ce besoin nouveau d’associer des expressions faciales aux messages.


Ainsi, nos rapports avec les autres ont évolué pour devenir mondiaux et ininterrompus. Mais, avec des plateformes comme Instagram, ne serait-ce pas le rapport à soi qui se transforme ? Sur Instagram, postons-nous vraiment des photos pour les autres ? Ou plutôt pour se rassurer soi-même ? Dans un monde de plus en plus superficiel où règne le culte du beau, nous sommes sans cesse en concurrence avec les autres. Sur les réseaux sociaux, c’est l’apparence qui compte à travers les photos et les vidéos. Goffman a théorisé le théâtre social comme le fait que les individus jouent un rôle différent selon les personnes avec qui ils entrent en interaction. Mais sur les réseaux sociaux, le phénomène va plus loin car il s’agit d’une vitrine qui touche simultanément l’ensemble de nos groupes sociaux et plus encore. Instagram serait devenu un univers parallèle dans lequel on se crée un personnage, une identité améliorée de soi. En effet, cela peut passer simplement par le fait de sélectionner ses plus belles photos et d'utiliser des filtres. Comme il ne s’agit que de la jolie partie de l’iceberg, il s’agit d’une vérité améliorée et partielle.


Sur SnapChat, le phénomène des filtres prend une ampleur inimaginable. J’entendais parler de la “SnapChat Dysmorphia” pour la première fois lors d’un cours sur le “selfie” que je suis à la fac. Un module au cours duquel on analyse notamment les enjeux éthiques, esthétiques et les dérives du selfie. Le 5 mars 2019, quand Martin Weill l’évoquait rapidement dans son documentaire sur “la recherche du corps parfait” sur TMC, ce fût le déclic. Je devais m’intéresser à cette nouvelle mode improbable quelques années plus tôt.


La SnapChat Dysmorphia, qu’est-ce que c'est ?


Dans un premier temps, il s’agit du fait d’utiliser un filtre SnapChat (de chien, de biche ou autre) pour modifier les traits de son visage. Via le mode “selfie”, on voit directement son reflet numérique changer en fonction du filtre choisi. Puis le culte de la beauté s’en est emparé. Aujourd’hui, de nombreux chirurgiens déclarent recevoir des patients désirant ressembler aux versions filtrés d’eux-même. Selon Martin Weill, un chirurgien sur deux recevrait des personnes qui veulent franchir le pas.


Sur les réseaux sociaux, tout est fait pour qu’on se sente aimé : on est plus beaux, on reçoit des likes et des commentaires. Alors on se dit : pourquoi ne pas être comme ça 100% du temps ? Si les réseaux sociaux rendent heureux, alors pourquoi ne pas se transformer dans la vraie vie ? Et si nous tenions la clé du bonheur ?


Nous sommes dans une société de surenchère où de plus en plus de personnes vivent de leur beauté. Les fameux influenceurs utilisent leurs corps parfaits comme sources de revenues et doivent le sculpter pour continuer d’attirer les marques.


Comme illustré dans le documentaire de TMC, la chirurgie se démocratise et les tabous se volatilisent. Les patients assument être passés sous le bistouri, ils en sont fiers. Du coup, il semble y avoir un double effet sur les personnes qu’ils influencent. D’abord, plus des personnes passent par là, plus l’opération paraît anodine, normale, lambda. Ensuite, plus nous sommes entourés de canons, plus nous créons des complexes en fonction des critères de beauté. Alors, s’il est anodin de se décomplexer, pourquoi attendre ?


Les filtres SnapChat reprennent les codes de beauté de notre société et le résultat est sans appel : on se trouve plus beaux avec ! Quand on s'intéresse un peu aux stories des personnages publics comme Kylie Jenner (vidéos en ligne 24h sur SnapChat), on s’aperçoit qu’ils utilisent presque toujours un filtre, comme s’ils n’assumaient plus leur vrai visage et se cachaient derrière. Comme un maquillage par dessus le maquillage !


Kylie Jenner

Tout de même, je me demande en quoi cette pratique chirurgicale est pertinente dans une société qui va aussi vite. De nouveaux filtres sont créés tous les jours, allons-nous changer de visages à chaque fois que l’application crée un nouvel avatar de soi magnifié ? Avec cette pratique, on semble pouvoir changer d’apparence en un claquement de doigts. Au même titre que les perruques, autant acheter des masques !


Ce qui me perturbe le plus d’un point de vue éthique, c’est la manière dont la SnapChat Dysmorphia renverse la logique. Initialement, c’est par une manipulation ludique et virtuelle qu’on modifie notre apparence. L'illusion numérique trouve essence dans la réalité pour proposer un visage modifié à l'écran. Avec ces nouvelles pratiques chirurgicales, on part du virtuel, de l’illusion, pour modifier le réel. Ce basculement serait pour moi le signe d’une véritable dissonance cognitive car l’individu perd totalement le sens de son identité, il ne sait plus qui il est et a besoin de retrouver une cohérence entre son reflet et son apparence.

Jusqu’où ira la dérive ? A quel point les réseaux sociaux contrôlent-ils nos vies ?



Pour finir, je vous propose de visionner ce reportage de Broadly qui suit deux jeunes femmes complexées par leurs nez.



Leur motivation, claire, m’effraie : “prendre plus de photos et en être fière”. Ainsi, elles veulent s’améliorer dans la réalité, influencées par leur image numérique, dans le but d’obtenir une image numérique encore plus réussie. Ne serait-ce pas là un cercle vicieux ? Un cercle infernal même ?

L’une d’entre elle se plaint de devoir modifier ses photos tout le temps. Ces femmes ont une véritable pathologie et ne supportent plus leur physique qui ne correspond plus à ce qu’elles perçoivent d’elles-mêmes via les selfies qu’elles prennent à longueur de journée. On retrouve en quelque sorte cette dissonance cognitive que j’aborde plus haut.

La chirurgie plastique serait “un investissement en soi”. Après un lifting, l’une dit à son médecin : “tu m’as donné ce que je me donnais avec les retouches”. Son médecin trouve plus sain de partir de soi-même plutôt que de vouloir ressembler à un autre (encore faut-il que ce “soi” soit ressemblant…). Mais la jeune femme admet qu’elle continuera tout de même les retouches-photo, car il y a toujours quelque chose qu’on voudrait changer à propos de nous… Dans ce cas, l’investissement valait-il le coût ?

 
 
 

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