Toutânkhamon : rompre l'histoire avec l'Histoire
- Marie Davy
- 22 mai 2019
- 3 min de lecture

Samedi 18 mai 2019, j’ai eu la chance de me rendre à l’exposition Toutânkhamon présentée exceptionnellement hors d’Egypte à La Villette à Paris. Je parle de chance car c’est tout simplement incroyable de voir ces centaines d’objets luxueux et majestueux qui ont traversé les millénaires pour se présenter devant nos yeux. Cela donne le sentiment d’être privilégié. Des milliers de personnes ont travaillé au service du Pharaon pour lui offrir un tombeau digne de lui qui le protègerait dans le royaume des morts, et moi, simple étudiante, j’ai maintenant accès à ces trésors autrefois enfouis.
Cependant, plusieurs problèmes éthiques me viennent à l’esprit au cours de la visite. Tout d’abord, qui sommes-nous pour extraire ces trésors de leur terre souveraine ? Pour faire ces recherches passionnantes et mieux connaître l’histoire de Toutânkhamon, nous avons dérobé son tombeau.
Dans les croyances égyptiennes, l’homme meurt deux fois, comme on nous le rappelle dès le début de l’exposition. La première fois lorsque son coeur cesse de battre. La seconde lorsque la dernière personne à prononcer son nom quitte ce monde. Toutânkhamon avait été oublié pendant plusieurs millénaires et nous l’avons ressuscité en rendant son souvenir immortel. En cela, l’histoire a doublement fait son travail. Elle accroît la culture des vivants et rend de son prestige au Pharaon. Mais, paradoxalement, l’histoire détruit l’essence même de ces traditions historiques.
Pour que le Pharaon affronte les démons du monde des morts, il a besoin de tous ses totems et de son tombeau. Or, quand on l’extrait de sa place originelle puis qu’on sépare chaque objet, qu’on les met sous vitrine puis qu’on les disperse dans un musée, on transforme totalement le travail des égyptiens de l’époque. On détruit leur rituel et on élimine leurs croyances. Si on en croit la légende, le travail de l’historien a mis Toutânkhamon en péril car il n’est plus assez fort.
Il y a donc la question du changement d’espace de ces trouvailles à des fins historiographiques mais aussi la question morale de la place de l’Homme dans l’histoire. Dans quelles mesures pouvons-nous nous approprier ce qui s’est passé avant nous ? Pouvons-nous considérer que tout ce qui est présent sur terre nous appartient de droit ou bien sommes-nous dans la violation quand on récupère des objets issus du monde de nos ancêtres ? On connaît les frontières géographiques, où sont les frontières générationnelles ?
Mais d’un autre côté, ne vaut-il mieux pas que les visiteurs découvrent cette exposition dans un musée où les pièces sont protégées plutôt que directement sur le lieu de la découverte ?
Ce qui m’a choqué, bien que ce soit logique que les archéologues passent par ces dispositifs scientifiques pour comprendre l’histoire, c’est le fait qu’on ait retiré la momie de son embaumage pour faire des analyses sur son crâne et le reste de son squelette. D’un point de vue éthique, cette mise à nue d’un personnage considéré mi-homme mi-dieu me paraît d’une violence inouïe.
Enfin, toutes ces réflexions m’ont rappelée mon sujet de dissertation lors du baccalauréat de philosophie en 2016 : “Pourquoi avons-nous intérêt à étudier l’histoire ?”. J’avais profité d’un paragraphe pour planter ma petite graine et voici ce à quoi j’avais pensé. L’homme est narcissique et a peur de la mort. Étudier l’histoire lui assure une forme d’immortalité dans le sens où il étend son existence aux siècles précédents grâce aux actions de ses pairs avant lui mais aussi car il espère que les générations futures continueront après lui pour que la période dans laquelle il a vécu résiste dans les mémoires. L’histoire égyptienne, si riche, contribue largement à cet élargissement de l’espèce humaine. Passé, présent et futur sont liés par l’histoire et apportent à l’Homme un sentiment réconfortant. En ce qui concerne le narcissisme, on a rien fait pour Toutânkhamon, mais on n’est pas peu fier quand on découvre avec quelle minutie l’Homme a réussi à graver l’or. D’autant plus quand ces pièces restent intactes 3 000 ans après leur confection…
Quand Howard Carter découvre le tombeau de Toutankhâmon en 1922, il rend au pharaon son immortalité. N’est-il pas rassurant de se dire que d’ici 3 000 ans, des personnes auront à la bouche ces deux noms ? Tout comme nous !
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